Ces dernières années, on pensait que le cerveau étaitdivisé simplement en zones spécifiques à chaque fonction : le cortex occipital postérieur pour le traitement visuel, l’aire de Broca pour la production de la parole, le cortex auditif situé dans le lobe temporal pour le traitement du son, etc. Des recherches récentes suggèrent néanmoins que les fonctions cognitives sont en fait le résultat d’un réseau de connexions immense et dynamique avec une multitude de branches.
Nous n’entendons pas en utilisant une seule partie de notre cerveau, mais aussi grâce à des stimuli auditifs qui "activent" plusieurs zones cérébrales. En considérant la façon dont les mots et les phrases simples sont compris, il est impressionnant de constater que même un simple mot a la capacité d’activer non seulement le cortex auditif où le mot est "entendu", mais aussi plusieurs autres zones où il est "compris" ou connecté sémantiquement ou cognitivement.
L’activation cérébrale multizone déclenchée par des mots simples révèle des distributions distinctes de connaissances pour des catégories sémantiques spécifiques de mots. Ces cartes sémantiques cérébrales illustrent la manière dont la parole est traitée dans l’ensemble du cortex et dans les deux hémisphères. Les groupes de mots sont associés entre eux en fonction de leur signification. Ainsi, par exemple, une zone s’allume lorsque l’on entend des mots liés à des relations sociales (comme épouse, famille, enceinte), et d’autres zones s’activent lorsque l’on entend des mots liés à des nombres et des quantités. Les chercheurs ont cartographié le système sémantique et la sélectivité des différentes régions sémantiques situées dans différentes zones corticales en effectuant une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRM) sur des volontaires qui écoutaient des histoires et des récits de divers genres. En observant les zones présentant la plus forte augmentation du flux sanguin, ils ont pu identifier des schémas d’activation complexes qui, curieusement, restent assez similaires chez les différents individus. La représentation des connaissances conceptuelles semble donc être dynamique et différente pour diverses catégories de connaissances.
Des études récentes ont démontré que le lien entre l’audition et le cerveau est très étroit, surtout lorsqu’on considère la capacité à comprendre la parole dans le bruit, la capacité auditive elle-même se classe au dernier rang d’une série de facteurs qui mettent en évidence des éléments tels que le traitement central ou la cognition. Des expériences menées sur des personnes âgées de 50 à 79 ans comprenaient des tests visant à évaluer la capacité auditive périphérique, le traitement auditif central et les compétences cognitives. Le facteur le plus prédictif de la compréhension de la parole dans une situation difficile, comme un environnement bruyant, était le traitement central de l’information sonore, suivi des compétences cognitives (comme la mémoire de travail et la mémoire à court terme).
La sensibilité auditive basée sur l’audiogramme est le "plus faible" de ces éléments pour prédire la capacité d’une personne à entendre dans un environnement bruyant. Parmi les facteurs cognitifs, la mémoire de travail semblait jouer un rôle central. Des tests effectués sur des personnes malentendantes avec et sans aides auditives ont révélé que la mémoire de travail représentait 27 % de la capacité à percevoir la parole dans le bruit chez les personnes qui n’ont pas d’amplification acoustique, et 40 % chez celles qui portent une aide auditive. La mémoire de travail indique la capacité à manipuler et à utiliser des informations auditives pour effectuer une tâche, comme lire quelques phrases à voix haute et se souvenir uniquement du dernier mot de chacune.
Des preuves supplémentaires de la capacité impressionnante du cerveau à manipuler les informations périphériques proviennent d’études qui ont examiné la manière dont les mots sont traités dans et hors du contexte sémantique. Les mots sont plus facilement perçus lorsqu’ils sont insérés dans une phrase significative que lorsqu’ils sont présentés sans contexte verbal. Cela suggère que le cerveau peut moduler les stimuli acoustiques avec des processus compensatoires et de normalisation qui permettent à la personne atteinte de perte auditive d’être moins consciente et/ou moins perturbée par le trouble périphérique.
Si l’audition est essentielle pour stimuler le cerveau, que se passe-t-il lorsque l’audition est réduite ? Le système nerveux central est composé de matière grise et de matière blanche. La matière blanche est composée de faisceaux de projections de cellules nerveuses qui relient les différentes zones de matière grise du cerveau entre elles et transmettent les impulsions nerveuses entre les neurones. La matière grise contient des corps cellulaires qui sélectionnent et envoient des informations au système nerveux périphérique. Lorsque les faisceaux de matière blanche ne sont pas intacts, leur vie et leur fonctionnement peuvent être altérés, entraînant des changements dans les fonctions cérébrales associées.
Il existe aujourd’hui des preuves que la déficience auditive est associée à des altérations cérébrales. Plus précisément, des preuves issues d’études d’imagerie par résonance magnétique (IRM) démontrent que la perte auditive est corrélée à un volume réduit du cortex cérébral auditif primaire dans le lobe temporal. Une IRM permet d’étudier très finement l’architecture micro-structurelle du cerveau et peut montrer que l’intégrité de la substance blanche dans la zone auditive est altérée chez les personnes atteintes de perte auditive. La perte auditive est souvent associée à des changements dans la structure cérébrale. En plus de la diminution du volume du cortex auditif primaire, on observe également une réduction de l’activité neuronale dans ces mêmes zones et dans d’autres régions sous-corticales. De plus, il est également évident que le cerveau compense la perte en essayant d’activer des circuits collatéraux. Cependant, cela augmente les processus cognitifs, ce qui nécessite une plus grande dépense de ressources mentales. La perte auditive a un impact négatif sur les ressources neuronales utilisées pour le contrôle cognitif, ce qui a un effet considérable sur la capacité à percevoir et à traiter les sons, nécessitant, par exemple, un effort cognitif plus important pour supprimer les informations non pertinentes dans les signaux auditifs (par exemple, le bruit de fond) et d’autres types de signaux sensoriels.
L’isolement social peut être un autre mécanisme sous-jacent au lien entre perte auditive et altérations cérébrales. Les difficultés de communication associées à la perte auditive peuvent favoriser la solitude, considérée comme un facteur de risque de troubles cognitifs. L’isolement social est associé à une diminution du bien-être psychologique et à une altération de l’estime de soi en raison d’une capacité réduite à réagir aux stimuli externes. Il peut également entraîner une diminution du bien-être physique car il est associé à des choix de vie moins bons tels que le tabagisme, une alimentation nocive, des habitudes sédentaires et une mauvaise observance des thérapies prescrites par le médecin. L’exploitation accrue des ressources cognitives peut aussi avoir un effet délétère sur la perte auditive et le déclin cognitif.
Le vieillissement et la perte auditive entraînent tous deux une atrophie plus ou moins évidente des régions corticales auditives. Le cerveau est obligé de s’adapter pour faire face à ce problème ; il augmente donc l’attention et "enrôle" des réseaux neuronaux accessoires, ce qui entraîne finalement un effort cognitif. Ce phénomène se produit généralement chez les jeunes qui ont besoin de comprendre la parole dans le bruit, mais il est normal chez les adultes plus âgés souffrant de perte auditive qui trouvent le processus d’écoute plus difficile. La conséquence est une charge cognitive constamment élevée qui réduit la proportion de ressources cérébrales disponibles pour traiter toutes les autres données et a un impact sur la concentration. Cet "effort" constant, combiné à une capacité d’épargne cognitive réduite typique de l’âge, peut accélérer le déclin cognitif avec un effet négatif sur la capacité auditive et les compétences cognitives.
Des personnes atteintes de perte auditive peuvent présenter des performances cognitives réduites, en particulier en ce qui concerne les fonctions exécutives, plutôt que linguistiques, lors des évaluations neuropsychologiques. Cela s’explique par la déviation des ressources liées à l’attention vers les tâches d’écoute, avec un pourcentage plus faible d’attention résiduelle pour les activités cognitives restantes. Ainsi les personnes atteintes d’une perte auditive importante peuvent présenter une probabilité plus élevée de présenter une altération des compétences cognitives telles que la concentration, la mémoire et la capacité de planification. Par conséquent, le cerveau d’une personne atteinte de perte auditive va changer et ressentir de la détresse. Les raisons pour lesquelles la perte auditive entraîne des altérations cérébrales structurelles et fonctionnelles sont multiples. L’une d’entre elles est sans doute l’appauvrissement des signaux acoustiques, qui provoque une "sous-stimulation" des zones corticales normalement activées par les sons. Certaines données récentes ont aussi indiqué que certains cas de démence peuvent potentiellement être attribués à une altération de l’audition.